En 1985 la France possède 3 chaines de télévision publique et une chaîne privée payante, Canal+, créée un an auparavant et qui est en grande difficulté, très loin d’atteindre ses objectifs en nombre d’abonnés, ce qui n’est pas encourageant pour d’éventuels entrants. Tout semble assez stable mais les élections législatives de 1986 vont précipiter la donne. La gauche au pouvoir craint, à juste titre, une défaite et donc de se voir dans l’opposition. Elle doit donc accélérer la mise en place des promesses de campagnes du candidat Mitterrand de 1981, notamment sur la libéralisation des ondes. Pour ce faire elle prépare la mise-en-place deux chaînes télévisions nationales marquant l’avenir du paysage audiovisuel Français. Le 31 juillet 1985, Georges Fillioud, le secrétaire d’Etat chargé des techniques et communications officialise le projet du gouvernement. Il y aura une chaîne généraliste commerciale et une chaîne musicale. Pour la première fois au monde, c’est la France qui se dotera d’une chaîne thématique sur le réseau hertzien.
©TV6/DR
Du côté de Publicis cela fait un moment que l’on songe à une chaîne de ce type. Léo Scheer, qui avait été à l’origine de l’équipe ayant mis en œuvre le projet Canal+, a rejoint le groupe publicitaire pour préparer ce sui sera TV6.
Publicis, dirigé par Maurice Lévy, s’associe à la radio NRJ, au groupe Gaumont et aux grandes maisons de disques (Virgin, Philips, Sony-CBS…) afin de constituer un dossier qui se veut solide et loin des copinages qui pourraient avoir eu lieux sur d’autres canaux. On mise sur l’expérience et la complémentarité de chacun (Agence de publicité, radio, cinéma et musique). A la différence de La Cinq il y a un véritable combat de candidatures et face au projet de Publicis se trouve la CLT (devenue depuis RTL Group et dirigeant donc entre autres l’empire audiovisuel RTL) et Jacques Séguéla (RSCG) allié à Hit FM et UGC. Finalement le 28 janvier 1986 c’est le projet TV6 emmené par Publicis qui est choisi par le gouvernement avec deux arguments indiscutables : il a la caution des métiers de la musique et des sociétés d’auteurs-compositeurs et interprètes, ce qui est mieux pour une chaîne musicale, de plus le tour de table du projet TV6 est constitué des leaders de leur marchés alors que le projet concurrent est soutenu par les seconds couteaux.
A la présidence de TV6 on retrouve Maurice Lévy, à la direction générale Léo Scheer et à la direction des programmes un homme qui connaît bien l’univers musical : Patrice Blanc-Francard qui arrive de l’emblématique « Les Enfants du Rock » sur Antenne 2.
Le but de TV6 est aussi de se distinguer de La Cinq qui se lance à la la même période « Face a la chaîne smokings et paillettes, TV6 sera une chaîne jeans ». Dès le lancement de la chaîne, le 1er mars 1986, le ton est donné avec une succession de vidéos clips entrecoupés de messages d’artistes souhaitant les bienvenues aux téléspacteurs. On est effectivement bien loin des strass et paillettes de La Cinq, chaîne confiée par le gouvernement à un proche des socialistes italiens, déjà détenteur du réseau 5 et Italie et ayant gagné la compétition pour la 5 espagnole en s’associant avec les aveugles (oui oui, vous lisez bien : Berlusconi soutenait à l’époque les socialistes et ses associés espagnols « la Once » étaient les aveugles organisateurs de la loterie nationale locale). L’habillage sonore de TV6 est confiée au compositeur Jean-Pierre Castelain et la fameuse voix d’une drôle de cantatrice chantant le jingle de la chaîne. Au niveau du visuel TV6 s’inscrit dans son époque avec de la couleur tendance fluo, une utilisation forte de la palette graphique pour un rendu dynamique à l’écran
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Très vite se mettent en place des émissions telles que Systeme 6, NRJ 6 ou bien encore Tam Tam, Live6 et Une page de Pub, qui marqueront l’esprit de la chaîne : TV6 c’est de la musique, de la libre antenne avec une proximité complète de son public. Le crédo « La plus jeune des télés » peut donc être compris dans les deux sens à la fois vis-à-vis de la chaîne elle-même mais aussi vis-à-vis du public.
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La droite entre temps est revenue au pouvoir et compte bien remettre à plat les différentes concessions accordées au niveau télévisuel (sauf Canal+ dont la fragilité et la confidentialité n’intéressent personne). Les concessions de La Cinq et de TV6 sont donc annulées à l’été 1986 mais la sixième chaîne entame sa rentrée avec optimisme et également avec la volonté de montrer qu’elle possède une logique éditoriale complète tout en maintenant 50% du temps d’antenne au moins consacré à la musique.
Ainsi en septembre 1986 commencent à être diffusées des films et des séries dont certaines sont devenues au fil du temps cultes (Le prisonnier, au coeur du temps, le temps des copains…) ce qui laisse entrevoir l’évolution qu’aurait pu connaître le sixième réseau sous l’égide de Publicis et de ses associés.
Au niveau des animateurs le public apprend au fur et à mesure à les connaître et beaucoup deviendront par la suite des acteurs incontournables du monde audiovisuel : Childéric et ses chroniqueurs Smicky, Jean-Luc Delarue, Charlotte Valendrey ou Philippe Vandel, mais aussi Alain Maneval ou Isabelle Duhamel…
La Commission Nationale de la Communication et des Libertés (CNCL) qui a succédé à la Haute Autorité est chargée d’entendre les nouveaux candidats à la reprise du 6ème réseau et début 1987 a lieu une nouvelle représentation de candidats avec à la clef une sixième chaîne.
Publicis et ses partenaires sont candidats à leur propre succession. Pour son patron, Maurice Lévy, il est clair «Les chaînes généralistes sont en surnombre et nous ne glisserons pas vers le terrain généraliste ». Par ailleurs il y avait la volonté de croire qu’à la différence de La Cinq le réseau de la sixième chaîne avait été l’oeuvre d’une logique professionnelle sans copinage.
la CLT est de nouveau candidate avec cette fois une alliance avec la Lyonnaise des Eaux et le projet « Metropole Television ». Il existait alors des enjeux politiques et internationaux qui dépassaient TV6. Au niveau politique le nouveau pouvoir en place préférait privilégier ses proches (en l’occurrence la Lyonnaise des eaux de Jérôme Monod et MetropoleTV de Nicolas de Tavernost…) et puis au niveau international il s’agissait de ne pas se froisser avec le Luxembourg représenté par la CLT.
La sixième chaîne était la dernière chance pour l’empire médiatique Luxembourgeois d’être présent dans la télévision en France.
Les acteurs de TV6 affichèrent une réelle déception lorsque le 25 février 1987, le projet Métropole Télévision défendu par la CLT et la Lyonnaise des Eaux remporta la candidature.
Même si Jean Drucker, futur Président d’M6, affirmait que la nouvelle chaîne serait généraliste mais à dominante musicale, le public et les différents acteurs de TV6 étaient dépités. Maurice Lévy déclara alors : « On ne revit jamais la même histoire d’amour une deuxième fois. C’est une autre histoire une autre fois. Celle-ci est finie et la télé c’est fini ».
Est-ce que TV6 aurait continué si elle s’était alliée avec la Lyonnaise des Eaux et la CLT pour cette nouvelle candidature (à l’image de La Cinq de Berlusconi qui avait intégré Robert Hersant dans son tour de table)? On ne le saura sans doute jamais, puisque l’offre ne fut pas proposée, les Luxembourgeois ne souhaitant pas partager le gâteau « en trop de petites parts » mais la question mérite d’être posé.
En 3 jours TV6 préparait sa fin tandis qu’M6 travaillait d’arrache-pied pour que le lancement soit effectif à la date prévue le dimanche 1er mars 1987.
Le samedi 28 février fut la grande journée TV6 avec une manifestation du public sur les champs élysées sous les fenêtres de la chaîne, embarquant dans leur sillon de nombreux chanteurs, de Bruel à Marc Lavoine, en passant par Daho ou Mylène Farmer, toutes les stars de l’époque !… En tête de cortège on retrouvait Childéric, Jacques Lang des personnalités de tous horizons. Plus que de crier la colère de voir disparaître leur chaîne préférée il s’agissait aussi pour eux de réclamer une nouvelle chaîne musicale sur le réseau hertzien. Le soir même TV6 tira sa révérence dans une ultime émission qui se conclut par la chanson « On se retrouvera » de Francis Lalanne entouré des chanteurs et des animateurs de la chaîne et d’un au revoir symbolique où Dark Vador (personnage central de la saga Star Wars) déclara que l’Empire avait vaincu et que TV6 serait détruite.
En ultime message à son fidèle public la chaîne lança : « Que la force soit avec vous… ».
Quelques heures après M6 pris la relève avec le succès que l’on sait aujourd’hui .
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M6 a par la suite gardé une tonalité musicale qui bien que s’ayant amoindri au fil des années a été conservée jusqu’à aujourd’hui. La chaîne a d’ailleurs lancé des canaux musicaux comme M6Music.
C’est sur le cable et satellite qu’on revit ce qui avait fait en partie la spécificité de TV6 avec des chaînes tels que MCM (Deuxième chaîne musicale en France a être lancée après TV6) ou bien Canal Jimmy.
NRJ est revenue dans la télévision avec entre autres la chaîne NRJ12, lors de sa candidature au réseau de la TNT, le groupe avait rappelé son expérience avec TV6.
Publicis s’est définitivement écartée de la télévision après cette aventure que Maurice Levy vécut comme un échec personnel.
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Pour ceux qui se souviennent de TV6 et de ses émissions, un ton unique était né et inventa une nouvelle forme de télévision où on se sentait entre copains, tous propriétaires de sa chaîne, LA PLUS JEUNE DES TELES, la première chaîne de l’histoire a avoir été interrompue par décision gouvernementale… Une aventure unique pour tous ceux qui l’ont vécue, devant ou derrière l’écran !
Merci à Childeric Muller pour son aide concernant l’élaboration de cet article
C’est dommage qu’il n’y ai pas d’extrait vidéo mais cependant tu retrace très bien et très clairement l’histoire de cette chaîne.
Merci et bravo pour cet article !
Merci beaucoup pour ce sympathique commentaire 😉
Concernant l’extrait vidéo c’est du d’une part à question de droit et d’autre part déjà de nombreux internautes passionnés ont
publié des vidéos de la défunte chaîne sur internet. Mais si un jour il y a la possibilité de bien entendu on fera partager !
J’y étais! (productrice junior sur « une page de pub ») c’était exactement ça. Le bureau, un grand loft où tout le monde bossait ensemble, très novateur pour l’époque, et Maurice (Lévy) qui venait s’asseoir au milieu de nous pour nous raconter jour après jour ses péripéties auprès des instances qui allaient décider de notre sort. Jusqu’à la décision finale, implacable. Et ce lundi matin glauque où après un dernier week-end de folie, on a découvert à notre place sur le grand écran du loft, une autre chaine, d’autres programmes, d’autres équipes. En faisant tristement nos cartons on a pris conscience du dur retour à la triste réalité, nous étions redevenus de simples téléspectateurs de l’autre côté de l’écran. On nous avait coupé la chique, et même si on avait toujours plein de trucs à dire, personne ne pourrait plus jamais nous entendre.
TV6 nous manque !!! Qui la réssucitera sur le web ???
M6 que j’ai boycotté n’a jamais été à la hauteur de TV6…..
Désormais encore heureux on a D 17 c’est un peu le retour d’une vraie chaîne musicale comme l’était TV6 !