Comment a commencé votre aventure télévisuelle et plus particulièrement dans le domaine musical ?
C’est justement par la domaine musical que cela a commencé. Dans les années 80, il y eut l’explosion de la FM et des radios libres. J’étais passionné de musique, je manageais des groupes de rock à Marseille. Il était donc naturel pour moi de m’exprimer par le bais de la radio et de faire découvrir ce que j’aimais. J’avais des goûts musicaux qui étaient assez pointus pour l’époque avec des groupes comme Depeche Mode ou The Cure entre autres. J’écrivais dans le magazine « Rock » et j’allais entrer à « La voix du Lézard » lorsque Patrice Blanc-Francard m’a proposé de commencer aux « Enfants du Rock » sur Antenne 2. J’ai ainsi fait une première émission sur Sade puis Cure et Indochine.
Quel était votre rôle au sein de cette émission ?
J’étais producteur dans la signification de l’époque c’est-à-dire que j’étais responsable du contenu interne ainsi que présentateur/Journaliste. C’était qu’on a appelé les « Rockumentaires » (documentaires sur le rock).
Comment expliquez-vous la fascination qu’exerce encore aujourd’hui une émission telle que « Les Enfants du Rock » ?
C’était une émission culte. Elle a démaré avec Antoine de Caunes et terminé avec Jean-Luc Delarue. Entre temps un certains nombres de personnes marquantes de la pop music sont passées par là : Philippe Manoeuvre, Jean-Pierre Dionnet, Groucho et Chico…Et c’est une fierté d’en avoir été, pour nous tous !
Au niveau du choix des artistes comment cela se passait-il ?
Pour la première émission on me l’a proposé ce fut Sade car « Les Enfants du Rock » avaient acheté un concert. Patrice Blanc-Francard était étonné que je la connaisse aussi bien car c’était avant la sortie de son premier single en France. L’émission a très bien marché et j’ai ensuite proposé The Cure, Depeche Mode, le festival rock d’Athènes , les quatre rockumentaires ont été de vrais succès, je devais enchaîner avec Wham et Depeche Mode mais entre temps j’ai quitté Antenne 2 pour TV6.
Qu’est ce qui vous a motivé pour participer à l’aventure de TV6 ?
C’était évident pour moi. J’avais 22 ans et il y avait deux chaînes qui naissaient : La Cinq et TV6. TV6 était la chaîne des jeunes. J’ai immédiatement fait acte de candidature alors que j’étais encore aux « Enfants du Rock ». Puis Patrice Blanc-Francard est arrivé sur cette nouvelle chaîne, il a vu les différents CV dont le mien alors que quelques jours auparavant nous bossions ensemble aux « Enfants du Rock ». Il m’a appelé et il m’a dit « Tu commences en direct tous les jours ».
C’était une aventure incroyable, on était une quinzaine pour faire cette chaîne qui, au départ, ne diffusait que quelques heures par jour avec un robinet à clips. On a démarré en mars 1986. C’est bien simple on était en train de finir le décor alors qu’on faisait la première émission. Puis en septembre une vraie grille des programmes fut mise à l’antenne.
Sur TV6 je faisais une émission quotidienne que je co-présentais les trois premiers mois avec Isabelle Duhamel. J’ai continué ensuite seul à la même tranche horaire jusqu’à la fin de la chaîne.
Cette émission quotidienne était « Système 6 ». Pouvez-vous nous en expliquer le concept et comment est-elle devenue l’une des émissions phares de la chaîne ?
C’était la première fois que l’on avait un standard ouvert et que les gens pouvaient s’exprimer à la l’antenne. C’était la première libre antenne. On permettait aux jeunes de discuter avec nous et de poser des questions aux artistes de manière quotidienne.
Dans cette émission il y avait une heure avec l’invité et une heure faite de news, de chroniques.
Généralement je faisais le portrait de l’invité ensuite venait le clip et enfin on recevait l’appel d’un téléspectateur. Il arrivait qu’il y ait des appels perturbants pour l’artiste. C’est ainsi que Mylène Farmer avait failli quitter l’émission. Elle avait sorti à l’époque le single « Libertine » et une jeune fille lui avait demandé à quand remontait son premier rapport sexuel. Elle n’a pas voulu répondre, elle était en décalage avec ce qu’elle chantait dans « Libertine ». Elle avait répondu méchamment à la jeune téléspectatrice et s’est faite tailler en pièces en direct par les gens au téléphone ce qui était assez impensable.
Je dois dire que je me suis également pris des vannes lors de certains appels.
Enfin lors de cette émission je disais franchement aux artistes ce que je pensais d’eux. Notamment lorsque je me suis adressé à Michel Sardou à qui j’ai dit que je le prenais pour un ringard mais qu’en lisant deux livres qui lui avaient été consacrés j’avais trouvé malgré tout qu’il avait une attitude rebelle et que je trouvais la chose sympathique.
TV6 n’était pas la chaîne la plus regardée mais elle avait créé un lien très particulier grâce à ce ton nouveau avec une cible jeune qui se reconnaissait dans la chaîne.
En février 1987 le couperet tombe et TV6 est décapitée. Vous y attendiez-vous ?
On avait déja entendu que le nouveau gouvernement, c’est-à-dire la droite, avait décidé de supprimer La Cinq et TV6. Mais il devait y avoir des auditions à la CNCL (NDR : L’instance chargée de l’audiovisuel en 1987). Même si la CNCL n’était pas un organe vraiment indépendant il y avait quand même quelques professionnels dans sa composition. Au moment des auditions, certains sages de la CNCL ont considéré que TV6 devait garder la chaîne. Par ailleurs lors de l’attribution de TV6 en 1986 il y avait eu une compétition réelle entre deux groupes d’opérateurs. Le premier avec Publicis (1ère agence de Pub européenne) accompagné de NRJ (1ère radio FM), Gaumont et les maisons de disques. Le second était HIT FM avec Euro RSCG. Il nous a donc apparu logique qu’en 1987 nous puissions continuer et on a espéré jusqu’au dernier moment.
Autour du 10-15 février on a su que cela allait s’arrêter le 28 février. On était à l’antenne avec Etienne Daho, on n’y a pas cru, on avait envie de pleurer. On a cru jusqu’au bout que cela pouvait changer. Les artistes sont venus avec nous voir les politiques pour essayer de faire bouger les choses. Puis il y a eu la manif le dernier jour organisé par les téléspectateurs. C’était désorganisé et improvisé mais le préfet de police a quand même laissé faire. C’était la première manif organisée sur les Champs Élysées depuis 1968. Il y avait environ 20 000 personnes. C’était marrant car pour disperser les gens à la fin on m’a fait monter sur un arbre avec un porte voix. Le soir on a fait une émission qui s’est conclue par un message de Dark Vador.
Que souhaitiez-vous transmettre à votre public à travers ce dernier baroud d’honneur ?
Je ne voulais rien transmettre. C’était une aventure où on avait envie de faire découvrir les choses, faire partager un enthousiasme avec le public. J’étais là comme un militant, comme un téléspectateur quasiment.
On a donc fait cette dernière émission et le lendemain j’ai passé ma journée chez moi avec une sacrée gueule de bois non pas physique, car je n’avais pas bu, mais car j’avais envie de pleurer. C’était terminé pour notre chaîne.
Dès la semaine suivante j’étais vraiment surpris que l’on m’appelle pour faire de la radio sur une grande station. Je me suis rendu compte que j’étais devenu un personnage du paysage audiovisuel.
Quelle est la raison qui explique la mort prématurée de TV6 ?
Il y ‘en a une très claire. Il y a eu une négociation gouvernementale. Il y avait une promesse faite à un dirigeant de la Lyonnaise des Eaux et à la CLT (NDR : Compagnie luxembourgeoise de télévision aujourd’hui RTL Group). Le tout passant par un accord sur un vote européen sur la politique agricole. On a donne ainsi à la CLT une part de la prochaine chaîne en échange d’un vote du Luxembourg. Ça n’a jamais été confirmé par personne mais on le savait à l’époque.
Et puis par ailleurs Nicolas de Tavernost (NDR : Actuel président du directoire d’M6) qui fut pendant longtemps au RPR s’est retrouvé avec la Lyonnaise des Eaux et la CLT dans le projet Métropole Télévision.
A contrario pensez-vous que s’il n’y avait pas eu ce choix politique TV6 aurait pu perdurer ?
Bien sûr ! TV6 avait une progression incroyable. Il y avait un réel choix éditorial au niveau des films et des séries que l’on ne pouvait pas voir ailleurs. TV6 serait devenue une grande chaîne à la même vitesse qu’M6 mais avec une ligne éditoriale et un état d’esprit totalement différents.
Que s’est il passé pour vous après la fin de TV6 ?
Jean-Pierre Elkabach m’a appelé pour rejoindre Europe 1 et j’étais stupéfait car cela aurait été mon rêve lorsque je faisais mes études de journalisme. Mais je me suis rendu compte qu’il y avait une radio qui me faisait plus envie : RMC, la radio que j’écoutais adolescent. J’ai insisté pour rencontrer Patrice Duhamel qui était le directeur adjoint de la station. Je me suis présenté et je lui ai dit que j’avais une proposition d’Europe 1 mais que c’était RMC que je souhaitais. Mon transfert était conclu en 24 heures. On n’a pas parlé d’argent à ce moment-là. Ils m’ont quand même demandé combien Europe 1 me proposait et je leur ai dit que je ne savais pas (rires).
J’ai demandé ensuite à J.P. Elkabach pourquoi il tenait tant à ce que je vienne à Europe 1 il m’a répondu qu’il souhaitait récupérer un morceau de TV6. Je lui ai alors suggéré de rencontrer Delarue et Dorangeon qui faisaient au début une chronique dans mon émission et qui ont ensuite présenté “Page de Pub”. On était très potes, on faisait partie de la même bande et je voulais qu’ils s’en sortent.
Concernant RMC je me suis vraiment éclaté. J’ai monté la tournée d’été avec des groupes rock, un orchestre de R’n’B et Carlos et c’est à ce moment là que Patrice Duhamel et Marie-France Brière, qui avaient rejoint La Cinq, m’ont demandé de venir sur la chaîne.
Comment avez-vous mis en place l’émission “Childéric” sur La Cinq ?
Je souhaitais au départ appeler l’émission “Rapido Presto” notamment à cause de la Tequila Rapido qui était la boisson du moment. Mais Marie-France Brière n’aimait pas ce titre et c’est par la presse que j’apprends que finalement l’émission se dénommerait “Childéric”.
Pour l’anecdote, au mois d’août 1987 je suis à Biarritz avec ma tournée d’été et Antoine de Caunes est venu nous voir car nous étions proches et il était dans le coin. Dans la conversation je lui dit que le titre choisi pour cette émission pour La Cinq me gavait et que j’aurai donc préféré “Rapido Presto”. Antoine trouvait qu’il s’agissait là d’un bon titre et l’a utilisé par la suite avec “Rapido”. Il n’y avait bien entendu aucun problème puisque « Rapido Presto » avait été refusé par La Cinq.
Je démarre donc “Childéric” à la rentrée. Je suis resté sur la chaîne pendant un an alors que les autres (Sébastien, Sabatier et Collaro) sont partis en milieu d’année. La raison principale est que La Cinq était une chaine urbaine et non rurale et que par conséquent leurs audiences ne suivaient pas, ce qui n’était pas mon cas, on cartonnait sur les jeunes urbains donc en parfaite adéquation avec la diffusion de La 5.
Comme vous l’avez évoqué La Cinq abandonnne en cours d’année (début 1988) son côté généraliste pour se recentrer sur une chaîne info/Séries. Est-ce que cela a-t-il eu un impact sur votre émission ?
Au niveau de la diffusion au lieu d’être présente les mercredi et dimanche, l’émission fut diffusée les mercredi et samedi. Il n’y eut pas d’impact réel car je faisais de bonnes audiences. Je faisais plus de parts de marchés l’après-midi que Sabatier, Sébastien et Collaro pourtant diffusés en prime-time. On m’avait proposé le prime-time mais j’ai refusé car je savais que c’était casse gueule.
Au bout d’un an j’ai décidé d’arrêter car je n’avais plus envie de me cantonner à de la pop culture.
Et puis j’avais envie de me mettre en retrait de la télévision. A l’époque je faisais également la pub de la carte jeune et avec tout ça j’avais acquis une très grande notoriété spontanée et je dois avouer que j’en souffrais. J’avais 25 ans et je voulais vivre comme mes potes, sans être autant exposé.
Je sentais que je m’éloignais des préoccupations de mes amis et qu’une distension était en train de se créer. On avait moins de choses en commun et j’avais besoin de prendre du recul. Je ne souhaitais pas être une star j’étais juste un journaliste, un animateur, qui voulait faire partager des choses aux gens.
C’est ainsi que j’ai arrêté la télévision. J’ai continué la radio où je m’amusais en découvrant chaque jour quelque chose jusqu’en 1991. 28 ans, j’approchais de la trentaine et que j’aspirais à autre chose. En fait Yves Mourousi (directeur d’RMC) me proposait de poursuivre avec un Hit Parade mais je ne voulais plus faire ça. J’attendais donc qu’il me vire pour prendre un virage professionnel. C’est ce qui s’est passé, j’ai réfléchi à ce que je pouvais faire par la suite et c’est comme ça que j’ai décidé de m’orienter vers la production télé.
La première année était assez décourageante : chaque fois que je rencontrais un patron de chaîne télé pour présenter mes idées d’émissions, ils me proposaient systématiquement de présenter leur émissions jeunesse ou de faire un casting pour présenter un jeu. Mais j’étais bien décidé et j’ai fini par convaincre !
J’ai ainsi commencé par “Toute la ville en Parle” sur TF1, ensuite j’ai travaillé avec Patrick Sébastien puis j’ai dirigé Grundy ,qui est devenu Freemantle, pendant 7 ans. Un passage avec Jean-luc Delarue (pour relancer Reservoir) puis j’ai créé WAÏ tv, ma petite structure avec mes amis.
En tant que producteur quelle aura été votre plus grande fierté ?
“Le Code de la route” car ce fut un énorme grand succès d’audience auquel personne ne s’attendait, plus jamais on ne pourra avoir de tels chiffres et ensuite il s’agissait d’une émission ludo-pédagogique ce que j’aime beaucoup. Je suis également très fier du “Printemps des poètes”. Ce sont des créations que nous avons entièrement imaginées au sein de WAÏ tv.
En ce qui concerne la période Freemantle, j’aimerai citer “100% question” que l’on a créé à partir d’un pilote réalisé en Angleterre et qui s’est ensuite exporté. J’ai également pu exporter dans une dizaine de pays “La Fureur” qui est devenu “Fever”, “Furore” et “Per tuta la vita“ et “Por la vida“ inspirés de “pour la vie“ (NDR : Childéric nous les cite avec de très beaux accents).
Et puis il y a eu la première émission que j’ai faite en tant que producteur “Toute la ville en Parle” qui était un énorme bordel ! Guy Lux et Jacques Antoine ont dit : “ils sont malades ils n’y arriveront jamais”. Chaque mois, nous étions en direct d’un zénith avec des défis colossaux et c’était chaque fois quelque chose de génial à monter. Ca restera la plus grosse émission régulière de l’histoire de la télé Française !
Vous menez de front aujourd’hui une carrière télévisuelle mais aussi politique. Comment arrivez-vous à concilier ces deux facettes et quel en est le lien ?
Le rapport qui existe entre les deux c’est de donner un “+” dans la vie des gens. Je considère ainsi qu’une émission de télévision n’est utile que si elle apporte quelque chose aux gens. En politique rien ne m’a rendu plus fier que d’avoir réussi à convaincre le conseil municipal de changer le règlement des écoles pour que les enfants allergiques puissent venir en classe normalement et déjeuner à la cantine, comme les autres.
Pour moi c’est un accomplissement de rôle citoyen. Mon boulot est d’être indépendant et de faire ce qu’un élu d’un grand parti ne peut pas faire.
Un jour si vous deviez faire le choix entre les deux que feriez-vous ?
Le rapport qui existe entre les deux c’est de donner un “+” dans la vie des gens. Je considère ainsi qu’une émission de télévision n’est utile que si elle apporte quelque chose aux gens. En politique rien ne m’a rendu plus fier que d’avoir réussi à convaincre le conseil municipal de changer le règlement des écoles pour que les enfants allergiques puissent venir en classe normalement et déjeuner à la cantine, comme les autres.
Pour moi c’est un accomplissement de rôle citoyen. Mon boulot est d’être indépendant et de faire ce qu’un élu d’un grand parti ne peut pas faire.
Si je vous dis “On se retrouvera” de Francis Lalanne, est-ce que cela vous évoque quelque chose ?
Cela m’évoque deux choses. La première effectivement c’est la dernière chanson de TV6 et puis c’était la bande originale du film “Le passage” réalisé par son frère. (pour la petite histoire, les frères Lalanne : René, Francis et Jean-Félix étaient dans le même lycée que Childéric à Marseille et Jean-Félix lui donna ses premiers cours de guitare)
Et puis cette chanson fut également chantée dans mon émission sur La Cinq. Je dois dire qu’auparavant cette chanson ne provoquait pas d’émotion particulière mais depuis cela a changé.
Pour conclure auriez-vous un message particulier pour les lecteurs d’iletaitunefoislatele.com ?
Récemment, Jacques Antoine, l’un des grands pionniers, est décédé : c’est la fin d’une époque. La télévision auparavant avait un rôle de ciment dans notre société. Il y a 20 ans on rentrait chez soi pour regarder une émission, une série TV et c’était le sujet de conversations du lendemain, on débattait…Aujourd’hui l’attrait est moins fort car il y a une offre plus conséquente.
Cet homme a inventé des formules d’émissions qui ont su fédérer les gens. Il a entre autres produit “Fort Boyard”, “La chasse aux trésors”, “La piste de Xapatan”, “la tête et les jambes“ et tant d’autres coups de génie…
Il a inventé les premières émissions interactives. C’est un grand inventeur. Durant ma carrière je me suis trouvé à cheval sur 3 périodes de la télévision. Je n’ai pas connu la télé des pionniers mais j’ai connu celle des inventeurs, des artisans et puis la télé qui s’est industrialisée.
J’ai été triste qu’on ne lui ait pas rendu un hommage aussi vibrant que par exemple celui rendu à Jean-Luc Delarue qui bien sûr le méritait aussi.
Interview réalisée le 17 septembre 2012 © iletaitunefoislatele.com
Photos © Childéric Muller
Un grand merci à Childéric Muller d’avoir accepté cette première interview d’iletaitunefoislatele.com et aussi pour son accueil.
Merci à l’équipe de WAÏ tv pour leur aide et leur accueil