Nous sommes en 1976. TF1, chaîne publique, a tout juste un an d’existence et continue de construire son image auprès des téléspectateurs. La transition entre les programmes se fait alors grâce aux talents des speakerines. En ce début d’année 76, Martine Bogé fait donc ainsi ses premiers pas à la télévision, une aventure riche et passionnante qu’elle nous livre aujourd’hui sur iletaitunefoislatele.com…
Les téléspectateurs ont fait votre connaissance il y a maintenant près de 40 ans sur TF1.
Comment a démarré cette aventure et quelles ont été vos motivations pour devenir speakerine à la télévision ?
Mon objectif à l’époque, j’allais avoir 18 ans, c’était de devenir journaliste c’est la raison pour laquelle après mon bac, j’avais commencé un DEUG de lettres modernes et un DEUG d’histoire. C’est mon papa qui, ayant vu une annonce dans Télé 7 jours annonçant un concours pour une place de speakerine m’a encouragé à me présenter en me disant que ce serait peut être un bon moyen de mettre un pied dans un média.
C’est Yves Mourousi qui vous présente au public lors de son 13 heures en janvier 1976. Quel souvenir gardez-vous de ce moment ?
Plutôt un bon souvenir, Yves Mourousi était un grand professionnel qui savait vous mettre à l’aise pour qu’à l’antenne le résultat soit bon, le personnage, une fois les projecteurs éteints, était beaucoup moins convivial.
Au même moment vous étiez en train de poursuivre vos études. Comment avez-vous réussi à concilier ces deux facettes de votre vie ?
Je n’ai pas réussi, j’ai abandonné mes études en fin de première année.
Quel était votre rôle sur la chaîne et comment appréhendiez-vous ce métier ?
Nous étions le lien avec les téléspectateurs et le liant entre les émissions. A l’époque rien n’était informatisé, il nous fallait faire en sorte que les émissions s’enchaînent à des horaires précis. Si le journal débordait un peu à nous de faire l’annonce la plus pertinente et la plus courte possible pour lancer le programme suivant, si un direct était plus court que prévu il fallait combler. Pas de prompteur non plus et nous devions donner le signal du lancement de l’émission suivante en prévenant les techniciens de la régie finale avec 8 secondes d’antériorité, soit au moyen d’une pédale que nous avions à nos pieds, soit par un mot-clé glissé dans notre annonce.
Je voyais vraiment ce métier comme un tremplin, mais je faisais mon travail avec beaucoup de sérieux, j’allais à toutes les projections possibles de façon à savoir de quoi je parlais et à pouvoir rédiger mes annonces en trouvant le petit plus qui n’était pas dans les magazines télé.
Quelle était la journée type d’une speakerine à Cognac-Jay ?
Nous étions alors 5; Évelyne Dhéliat, Fabienne Égal, Denise Fabre, Évelyne Leclerc et moi même à nous repartir, à tour de rôles, les demi- journées. Je me souviens que pour moi la plus longue était le dimanche matin où nous commencions fort tôt avec toutes les émissions religieuses qui se succédaient….Cela débutait par une séance de maquillage, et entre les annonces, nous passions nos heures d’attente dans notre cabine à lire notre courrier, à peaufiner nos interventions ou en régie finale avec les techniciens, je suis toujours en contact avec la plupart d’entre eux, ainsi qu’avec Fabienne avec laquelle je communique quasi chaque jour. Et pour l’anecdote j’appréciais particulièrement les jours où je passais ou prenais le relais de Denise, femme adorable, et que son mari qui l’accompagnait venait les bras chargé de délicieuses pâtisseries que nous partagions tous ensemble.
Votre premier chapitre à la télévision s’arrête à la fin de l’année 1977. Quelles ont été les raisons de cette coupure ?
Ah haha, je me suis faite virer ! En fait il y avait eu une grève de techniciens, juste avant Noël, ceux-ci ont décidé de faire une trêve pour le réveillon, en demandant que leurs revendications et leur geste de bonne volonté, soient expliqués au téléspectateurs au moyen d’un communiqué syndical, qui devait être lu à l’antenne par le journaliste qui présentait l’édition du week-end, en l’occurrence Jean Claude Bourret, celui-ci a refusé catégoriquement, j’ouvrais l’antenne avant lui, j’ai décidé de lire ce communiqué….
Je ne suis pas tombée des nues, je savais que je prenais un risque, mais 2 ans de présentation des programmes, c’était déjà une belle expérience. J’avais envie depuis quelque temps de faire autre chose. J’avais failli intégrer le service des sports à la demande de Georges de Caunes mais un directeur de l’antenne avait mis son veto en décrétant que ce n’était pas la place d’une fille, il l’avait même formulé de façon plus sexiste disant: » des filles au sport ? pourquoi pas des hommes aux magazines tricot ? »
Comment s’est effectué par la suite votre retour sur TF1 et notamment l’évolution de votre métier ?
Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, virée par la droite, j’ai profité de l’arrivée de la gauche au pouvoir pour pointer le bout de mon nez et taper à toutes les portes. J’ai recommencé au bas de l’échelle, je triais des articles, des dépêches. Le PDG de l’époque m’avait donné 3 mois pour faire mes preuves, 3 mois plus tard je devenais l’attachée de presse de l’unité de programmes documentaires.
J’ai eu l’immense chance de travailler avec de grands talents ; Les patrons de cette unité étaient Jean Émile Jeannesson et Claude Otzenberger, ce sont eux qui ont mis à l’antenne des séries comme « Haroun Tazieff raconte la terre » , « Les Grands Procès » de Frédéric Pottecher, le Bébé est une personne (Bernard Martino), donnés leurs chances à des émissions innovantes comme le magazine scientifique Saga (Michel Treguer) ou bien encore « Droit de Réponse » (Michel Polac).
Ma bonne étoile m’a suivie puisque, enfin, en 84, je rejoignais le service des sports, toujours comme Attachée de Presse ( mais pas que) sous la direction de Jean Michel Leulliot, une fois encore un Grand Monsieur qui m’a beaucoup appris, avec Jean Michel on pouvait se transformer en documentaliste, c’est ce qui m’est arrivé le soir de la mort de Jacques Anquetil car il fallait ressortir les images fortes des archives et nous n ‘étions que trois dans le service pour préparer la nécro. A Séoul, pendant les JO je me suis improvisée monteuse parce qu’il n’y avait urgence pour un sujet. Il y avait une ambiance formidable, au quotidien je partageais mon bureau avec Alain Jouin, Thierry Roland, Jean Raynal et Jocelyne Plumas notre assistante. Et vraiment on travaillait dans la bonne humeur.
Les années 80 ont vu TF1 se transformer en chaîne commerciale, comment avez-vous vécu cette transition ?
C’est après plus d’un an de privatisation, donc fin 88, que j’ai beaucoup moins apprécié; Leulliot écarté au profit de Jean-Claude Dassier ça changeait vraiment la donne. Mais là encore, la chance, ma bonne étoile; je ne sais…. Le groupe l’Équipe qui avait pourtant déjà 43 ans d’existence. n’avait pas encore de Service de Presse, j’avais eu l’occasion toujours grâce à Jean-Michel Leulliot de rencontrer le directeur de la rédaction du quotidien: Noël Couedel, il m’a mise en contact avec le big boss Jean Pierre Courcol, un ancien champion de Tennis, et comme on dit de nos jours; ça a matché. Juillet 89 je faisais ma « révolution » en devenant Responsable du Service de Presse et des Relations Extérieures du groupe L’Équipe (à l’époque; le quotidien éponyme, France Football, Tennis de France, Vélo Magazine, puis par la suite Course Auto et XL le magazine)
Les années 90 ont été pour vous l’occasion de quitter une deuxième fois le monde de la télévision tout en restant dans le domaine médiatique. Quel regard portiez-vous alors sur le domaine de la communication en général et sur la télévision en particulier ?
Dans mon domaine, avec les télévisions, les radios et les autres supports, les relations étaient faciles L’Équipe était unique, nous n’étions pas vraiment en concurrence, lorsque je recevais un sportif de très haut niveau, je pense à Ayrton Senna, à André Agassi, …, lorsque France Football remettait son ballon d’or, j’invitais mes confrères des autres média On a monté également des partenariats comme lors des Jeux Olympiques de Barcelone en 92 où »mes » journalistes intervenaient avec ceux de Canal Plus. Les choses ont commencé à changer lorsque le groupe Amaury a lancé sa propre chaîne ; L’Équipe TV en août 98, nombreux sont ceux qui voulaient participer à cette aventure et non des moindres et disons que certains se sont montré très rancuniers de ne pas avoir été retenus.
Vous avez mis le cap sur la République Dominicaine. Qu’est ce qui a déterminé ce choix et comment s’est faite votre rencontre avec ce pays ?
Une réflexion personnelle a fait que j’ai choisi d’aller adopter en Afrique (Bénin et Burkina Faso) mes 2 enfants. Bien que nous vivions dans un milieu favorisé, je ressentais déjà le petit racisme ordinaire en banlieue parisienne dans les années 2000. L’occasion s’est présentée de changer d’air, puisque l’on m’a proposé la direction de la communication de TV Breizh, une chaîne de télé installée à Lorient, avec le soutien totale de ma »famille » l’Équipe, j’ai pris ce virage. C’était une belle aventure, nous avions des magazines intéressants comme « le journal des îles » , des retransmissions de festivals, beaucoup de documentaires originaux à promouvoir, des doublages en Breton, etc, c’était très innovant jusqu’à ce que TF1 augmente sa participation en 2004 ( de 22 à 40% pour devenir finalement majoritaire en 2007). La chaîne est devenue alors juste un canal de diffusion de vieilles séries ; « Arabesque », »Perry Mason », »l‘Agence tous risques’‘ : Je n’avais plus rien à y faire. J’ai négocié mon départ. J’avais déjà vécu le meilleur de ma vie professionnelle à l’Équipe, je savais que je n’y trouverais plus l’ambiance que j’y avais connu, les moments forts que j’y avais vécu. J’y avais passé 13 ans formidables. A l’aube de mes 50 ans il me fallait changer de vie pour retrouver l’enthousiasme, la passion. Par hasard, des vacances en République Dominicaine, un coup de cœur pour l’environnement: Voilà 10 ans que j’y vis sans avoir eu l’envie de revenir faire un tour en France, je préfère revoir mes amis dans un cadre de rêve qu’entre deux rendez vous stressants dans la pollution parisienne.
Auriez-vous un message particulier aux téléspectateurs qui vous ont connu en tant que speakerine et que pourraient-ils vous souhaiter pour la suite de votre aventure ?
Existent-ils encore des téléspectateurs qui se souviennent de moi? Franchement j’en doute, deux ans c’est vraiment très peu pour laisser une trace dans le monde de la télévision et puis je me souviens également que les téléspectateurs qui avaient la gentillesse de m’adresser des courriers étaient pour la plupart dans la tranche des plus( beaucoup plus) de 50 ans ( la fameuse ménagère)….ils m’appréciaient, disaient-ils, parce que j’avais une bonne diction et l’on comprenait bien ce que j’annonçais ….40 ans après, mon fan club ne doit plus être très important. En tous cas j’embrasse ceux que je saluais depuis la petite lucarne, je pense, comme a l’époque particulièrement aux personnes seules pour lesquelles nous étions parfois l’unique sourire de la journée et je leur dis: « Ne perdez jamais espoir. il y a toujours une petite lueur au bout du chemin. »
©Photos : Martine Bogé/DR
Interview réalisée par E-mail (octobre 2017)
Un grand merci à Martine Bogé pour son accueil et pour avoir accepté de partager ses souvenirs télévisuels
Blog de Martine Bogé consacré à la République dominicaine